Anton Brukner: Symphonie n° 4
Interprétations de la Symphonie n° 4 : Celibidache, Karajan, Maazel
Nous allons écouter et comparer les interprétations de la Symphonie n°4 de Bruckner par trois chefs d’orchestre célèbres, afin d’approfondir notre approche de sa musique. J’ai sélectionné deux extraits d’environ deux minutes chacun, et je partagerai mes observations sur leurs différences… Qu’en pensez-vous ?
Avant d’écouter, une petite remarque : dans la Symphonie n°4, le cor sonne partout, il nous accompagne tout au long de la symphonie. Le son des cors est présent dans chaque épisode des extraits que nous allons analyser (on peut se référer à l’article sur le cor français )
Nous allons écouter et analyser les extraits des interprétations suivants :
| Sergiu Celibidache, chef d’orchestre, Münchner Philharmoniker, live recording from the Herkulessaal, Munich 1983, (1880 version, ed. Robert Haas) lien |
| Herbert von Karajan, chef d’orchestre, Berliner Philharmoniker, recorded at the Jesus-Christus-Kirche, Berlin in September and October 1970, (1880 version, ed. Robert Haas) lien |
| Lorin Maazel, chef d’orchestre, Bavarian Radio Symphony Orchestra ·(1886 Version, ed. Leopold Nowak) I. Bewegt, nicht zu schnell · lien II. Andante, quasi allegretto lien |
(L’explication de la problématique des différentes versions de la 4ᵉ Symphonie peut être trouvée, par exemple, sur Wikipédia.)
Nous allons écouter un extraits de la 1ʳᵉ partie et un extrait de la 2ᵉ partie de la symphonie, interprétés par les trois chefs d’orchestre. Je vous donnerai ensuite mon point de vue pour chaque extrait, puis mon impression générale de chaque interprétation.
Extrait 1 : I. Bewegt, nicht zu schnell
Le début de la 1ʳᵉ partie de la symphonie, d’une durée d’environ 2 minutes.
Sergiu Celibidache
Herbert von Karajan
Lorin Maazel
Sergiu Celibidache
Dans cette interprétation, on a l’impression que rien ne se passe : le son naît de rien et commence à envelopper l’auditeur de toutes parts. Malgré l’intensification progressive, il y a une sensation de staticité, comme si l’on se trouvait au centre d’un tourbillon sans bouger soi-même. Une impression d’épopée se dégage, et à la fin, lors de la culmination de l’épisode, on a le sentiment d’être au sommet de l’Olympe, au sommet du monde.
Herbert von Karajan
Ici, nous suivons la musique qui déploie une histoire : on ressent la dynamique, le caractère théâtral et un peu nerveux, chaque scène succède à la précédente. La culmination est héroïque, semblable à un cri solennel.
Lorin Maazel
Maazel raconte aussi l’histoire, mais la musique sonne plus lyrique, plus retenue, y compris la culmination finale, qui est également plus contenue. La musique évoque davantage un chant ou un chœur.
Extrait 3 : II. Andante, quasi allegretto
Lle début de la 2ᵉ partie de la symphonie, d’une durée d’environ 2 minutes.
Sergiu Celibidache
Herbert von Karajan
Lorin Maazel
Sergiu Celibidache
La musique se déploie très lentement, de manière majestueuse et posée, méditative. Le tempo est bien plus lent que dans les autres interprétations. On peut imaginer des rituels, où l’on se détache du temps et de l’espace, se trouvant hors des pensées, dans un flux de pure conscience. On a l’impression d’être enveloppé par des vagues de son qui ondulent tout autour de soi.
Herbert von Karajan
La musique est maîtrisé mais extrêmement émotionnel, avec beaucoup de sentiments retenus. Le premier passage donne comme une impression de menace, de tension. L’histoire se déploie : un petit extrait est constitué de trois épisodes, et chaque nouvel épisode sonne plus fort, comme si une procession s’approchait.
Lorin Maazel
Le son est délicat mais un peu distant. L’épisode est clairement divisé en trois parties, avec des silences marqués (qu’on n’entend pas dans les versions de Celibidache et Karajan).. Le son paraît quelque peu académique.
Conclusion:
Après les premières écoutes, j’ai été particulièrement attiré par Karajan, pour ses images héroïques, son pathos et sa grandeur. Maazel m’a également séduit par son lyrisme et sa retenue. Mais les écoutes répétées des trois versions m’ont amené à me poser la question : que voulait vraiment dire Bruckner lui-même ? À un moment, la version de Karajan a commencé à me rappeler les symphonies de Beethoven. On pourrait presque jouer Beethoven de la même façon. Mais où est Bruckner dans tout ça ?
C’est alors que la version de Celibidache est devenue plus intéressante. Après tout, Bruckner, comme Bach, était un homme de foi, un homme pour qui tout était clair et compréhensible, pour qui il n’y avait pas de problèmes insolubles concernant l’existence du monde ou la question « Qui suis-je, pourquoi ? ». Et cet éclat de pure raison, cette confiance dans la justesse et l’avenir, résonne clairement dans l’interprétation de Celibidache.
Ainsi, chaque chef d’orchestre propose une lecture différente : Karajan raconte une histoire pleine d’événements et d’émotions, avec des culminations héroïques, presque prométhéennes ; Maazel est plus lyrique, plus retenu et distant ; tandis que Celibidache, par sa clarté et sa solennité, restitue la dimension spirituelle et méditative de Bruckner, ce sentiment de sacralité et de pureté de l’esprit.
Pour finir, je voudrais dire qu’il n’y a pas de gagnant : c’est bien que des interprétations différentes existent. La perception de la musique dépend de plusieurs facteurs. Parfois, on a besoin d’émotions fortes, parfois d’être rassuré. Personnellement, je peux écouter à la fois Karajan et Celibidache (finalement pas Maazel).